Bien-être

Challenges des années à venir

En chemin vers une meilleure prise en compte du bien-être équin

La filière équestre traverse une période de transition où le bien-être équin devient une priorité croissante.

Au-delà des considérations économiques et sportives, le bien-être des équidés, peu importe leur(s) activité(s), s’impose désormais comme un élément incontournable à prendre en compte.

Pourtant, la mise en œuvre concrète d’un bien-être optimal reste freinée par la persistance de routines traditionnelles, de contraintes économiques ou logistiques, des limites actuelles des compétences et connaissances de certains acteurs, mais aussi par le manque de cadres réglementaires communs ou de suivi objectif.

À travers les perspectives offertes par des études récentes, cet article explore les défis et opportunités qui façonnent l’avenir de cette filière.

Les avancées de ces dernières années

Au cours de la dernière décennie, la réglementation en faveur du bien-être équin a connu plusieurs évolutions notables, tant au niveau européen qu’au niveau français.

Cette année 2025 marque un anniversaire symbolique : cela fait 10 ans que les animaux ne sont plus assimilés à des meubles dans le Code civil français. Depuis la loi du 16 février 2015, ils sont juridiquement reconnus comme des êtres vivants doués de sensibilité. Cette législation apporte une cohérence juridique avec le code rural et la législation européenne, qui les considéraient déjà comme tels depuis respectivement 1976 et 1997.
De 2016 à 2020, la France a mis en œuvre sa stratégie pour le bien-être animal. Cette dernière visait finalement à améliorer la prise en compte du bien-être dans les filières animales à travers la formation des acteurs, le développement d’outils d’évaluation, la sensibilisation des détenteurs et un suivi via un comité de pilotage. Ce plan a surtout permis de poser les bases d’une approche structurée au niveau national. C’est durant cette période que plusieurs instances ont été crées avec par exemple le Centre national de référence français sur le bien-être animal (CNR) en 2017 ou la Chaire bien-être animal en 2018.

2018 voit également la création du premier code juridique de l’animal en France. Il a été créé par des experts en droit animalier en association avec la fondation 30 Millions d’Amis. Ce n’est pas un code juridique officiel comme le Code civil ou le Code rural. C’est un recueil inédit qui rassemble, pour la première fois, tous les textes français et européens relatifs au droit animal (protection, statut juridique, bien-être, réglementation, etc.).

L’Union européenne a réalisé un bilan de sa législation en 2022, notamment en ce qui concerne l’efficacité de ses règles en matière de transport, d’élevage et d’abattage. Cette analyse a conduit à la présentation, en décembre 2023, d’une nouvelle proposition de règlement visant à remplacer le texte de 2005 sur le transport des animaux vivants : elle prévoit des trajets plus courts, plus d’espace pour les chevaux, une meilleure protection contre les températures extrêmes et une digitalisation de la traçabilité. Plus tard, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié en 2025 des avis scientifiques détaillés sur la mise à mort des chevaux à la ferme, afin d’harmoniser les pratiques et de limiter la souffrance.

En France, la loi du 30 novembre 2021 contre la maltraitance animale a marqué un tournant en introduisant notamment le certificat d’engagement et de connaissance pour tout détenteur d’équidés, et en renforçant les sanctions en cas de mauvais traitements.

Enfin, sur le plan sportif et institutionnel, la Fédération Équestre Internationale (FEI), après avoir instauré une Commission pour l’éthique et le bien-être des équidés en 2022, a adopté en 2024 une stratégie dédiée au bien-être équin, assortie d’un fonds de financement pour soutenir des initiatives concrètes. Ces avancées témoignent d’une prise de conscience croissante, même si leur efficacité dépend encore largement de leur mise en application et des contrôles sur le terrain.

Frise chronologique des grandes avancées du bien-être équin de 2015 à 2025
Frise chronologique des grandes avancées du bien-être équin de 2015 à 2025

 

Des besoins fondamentaux encore trop souvent négligés

Les connaissances en éthologie appliquée sont claires : un cheval a besoin de fourrage, de liberté et de relations sociales (« les 3F »). Pourtant, de nombreux chevaux vivent encore en box, avec un accès limité au pâturage ou aux congénères. Ces conditions peuvent générer coliques, stéréotypies et stress.

Si les pratiquants affirment aimer leurs chevaux et vouloir faire au mieux pour eux, leurs pratiques ne correspondent pas toujours à cet idéal. L’étude de Maurício et al. (2024) révèle que beaucoup de passionnés reconnaissent l’importance du bien-être mais justifient leurs manquements par des contraintes extérieures : manque de moyens financiers, d’espace, de temps ou de main-d’œuvre qualifiée. Cette dissonance entre savoir et action montre que l’amélioration du bien-être n’est pas qu’une question de connaissances, mais aussi de contexte socio-économique.3

Une nouvelle définition du bien-être : le “bien-être positif”

Un collectif de 330 scientifiques réunis dans le réseau européen LIFT a publié dans un article paru en janvier 2025, une définition consensuelle du concept de positive animal welfare. L’idée est d’aller au-delà de la simple prévention de la souffrance et de la garantie de la santé physique, pour inclure l’expérience d’états mentaux positifs, l’acquisition de compétences et le développement de la résilience. Selon cette définition, le bien-être correspond à un véritable épanouissement de l’animal, qui passe par le fait de vivre des expériences enrichissantes, la possibilité de faire des choix et de poursuivre activement des objectifs en fonction de ses capacités spécifiques. Cette approche met en avant l’importance des différences individuelles liées à la génétique, au développement et aux expériences vécues. Elle invite également à développer de nouveaux indicateurs, centrés sur l’animal et que ces derniers soient évalués à différentes étapes de sa vie, afin d’obtenir une vision plus complète de sa qualité de vie.
Bien que la traduction du terme « bien-être animal positif » fasse encore débat en France, cette avancée marque une étape importante pour harmoniser la recherche et intégrer davantage les dimensions positives dans l’évaluation du bien-être des animaux, y compris celui des équidés.7

Vers une reconnaissance accrue de la sentience équine

L’idée que les chevaux sont des êtres sentients, capables de ressentir des émotions et de réagir à leur environnement, est aujourd’hui largement acceptée par les experts. Une enquête menée auprès de professionnels du secteur équestre montre que 99,9 % des participants reconnaissent la sentience des chevaux.
Cette prise de conscience impose une responsabilité morale accrue : les chevaux doivent non seulement être protégés contre la souffrance, mais aussi bénéficier d’expériences positives au quotidien.
Le modèle des « cinq domaines » offre un cadre précieux pour évaluer et améliorer le bien-être équin. Ce modèle intègre à la fois des aspects physiques, mentaux et sociaux, mettant en lumière l’importance de conditions de vie adaptées qui favorisent non seulement l’absence de stress, mais aussi des expériences positives telles que le jeu ou les interactions sociales. 2

Le poids des normes, des traditions… et du regard du public

Dans l’équitation, « ce que tout le monde fait » influence fortement les choix individuels. Il est malheureusement courant que certaines pratiques, parfois nocives pour les chevaux (hébergement isolé, enrênements coercitifs, entraînements intensifs…) soient perçues comme normales, voire nécessaires à la performance.3

La pression sociale interne joue un rôle majeur : ne pas suivre les usages dominants peut entraîner marginalisation ou perte de crédibilité.
Mais au-delà du cercle équestre, la pression externe de la société civile prend de l’ampleur. Les débats autour du bien-être animal dans les médias (Lambert et al., 2024, 2025) montrent que le public est de plus en plus sensible à la manière dont les animaux sont traités. Une enquête menée au Royaume-Uni révèle une forte attente citoyenne pour plus de transparence, de régulation et de garanties indépendantes, et une méfiance croissante vis-à-vis des systèmes actuels. 5, 6

Cette défiance pèse également sur les sports équestres, qui voient leur licence sociale d’opérer remise en cause. La médiatisation de pratiques jugées inacceptables (harnachements contraignants, chutes, blessures en compétition, etc.) alimente les critiques et accentue la nécessité d’un changement culturel profond.

L’éducation comme levier de transformation

Un levier essentiel réside dans la formation initiale et continue des acteurs du monde équestre.
L’étude de Torell Palmquist et al. (2025) au sujet d’un workshop européen animé à Saumur, souligne l’importance d’une approche fondée sur les preuves scientifiques, intégrant les théories de l’apprentissage, l’éthologie et l’éthique.4

Les institutions éducatives, telles que les écoles d’équitation, ont la capacité de diffuser ces connaissances et d’impulser une culture commune centrée sur le bien-être.

L’enseignement doit aussi préparer les futurs professionnels à faire face à la diversité des pratiques et à la pression sociale. Cela suppose de développer un esprit critique, d’apprendre à reconnaître les signaux de mal-être équin et de promouvoir des alternatives respectueuses. La communication vers le grand public est également cruciale, pour valoriser les « bonnes pratiques » et restaurer la confiance.

Ces ajustements aideront à former une nouvelle génération de professionnels capables de répondre aux attentes sociétales et de garantir un avenir durable à la filière. 4

Un secteur en mutation face aux attentes sociétales

La relation entre l’humain et le cheval a considérablement évolué ces dernières années. Si les chevaux étaient autrefois considérés comme des “outils” de travail, ils sont désormais reconnus comme des partenaires. Cependant, les pratiques traditionnelles, souvent ancrées dans des approches utilitaires, ne répondent plus aux attentes actuelles. Des scandales médiatiques autour de pratiques abusives ont sensibilisé l’opinion publique et poussé les institutions à revoir leurs politiques pour maintenir leur légitimité sociale.

Depuis plusieurs années et notamment depuis les JO de Tokyo en 2021, on assiste à une montée croissante d’une sousveillance militante dans la filière équestre : associations, collectifs et individus utilisent massivement les réseaux sociaux pour dénoncer certaines pratiques jugées contraires au bien-être équin (hyperflexion, isolement social, détention en box stricte, etc.). Face à cette pression, les institutions équestres (FFE, IFCE, etc.) adaptent leurs stratégies de communication davantage que leurs pratiques, en développant une hypervigilance visuelle et discursive, en créant des labels et en formalisant des éléments de langage. Toutefois, cette évolution se heurte à une forte inertie structurelle et à une dissonance persistante entre discours et réalités de terrain, selon les auteurs d’une étude récente (Kohlmann et al, 2025). L’enjeu majeur identifié pour les années à venir est donc de dépasser la seule adaptation communicationnelle pour engager un renouvellement éthique et effectif des pratiques en faveur du bien-être équin pour répondre aux attentes sociétales.8

Diversité des acteurs et inclusion : des clés pour le futur

Une étude menée aux Pays-Bas a mis en lumière la diversité des profils des passionnés de chevaux. Quatre groupes distincts ont été identifiés, allant des novices urbains aux professionnels expérimentés. Cette diversité nécessite des approches personnalisées pour diffuser les connaissances sur le bien-être équin, en tenant compte des différences de niveaux de savoir et d’accès à l’information. 1

Pour aller plus loin, il est essentiel de rendre la filière plus inclusive. Cela passe par des initiatives visant à attirer des publics variés, qu’il s’agisse de jeunes issus de milieux modestes ou de groupes sous-représentés. L’objectif est de démocratiser l’accès aux activités équestres tout en sensibilisant davantage de personnes aux bonnes pratiques.

Quelques pistes d’évolution

✅​ Placer la sentience et les besoins fondamentaux au centre

    • Reconnaître systématiquement la sentience du cheval dans les politiques et pratiques (gestion, entraînement, compétitions).
    • Promouvoir une approche du bien-être fondée sur le modèle des « Cinq Domaines », intégrant nutrition, environnement, santé, comportements (sociaux et exploratoires) et état mental.

✅​ Relever le défi éducatif et cultiver les compétences

    • Renforcer l’éducation et la formation de tous les acteurs (propriétaires, pratiquants, enseignants…) sur les besoins naturels, les états émotionnels, la détection de la douleur et l’application concrète des avancées de la science du comportement.
    • Mobiliser des relais crédibles (vétérinaires, maréchaux, enseignants) pour une diffusion adaptée des savoirs selon les profils d’usagers.

✅​ Changer les normes sociales et favoriser une dynamique collective

    • Interroger les routines et traditions à l’aune du bien-être ; valoriser les exemples positifs et encourager le partage d’expériences innovantes (ex : conception de boxes favorisant les contacts, adaptation des modes d’hébergement, enrichissements…).
    • Développer la réflexion éthique et l’esprit critique dès la formation (écoles, fédérations), encourager la capacité à se remettre en question et l’autorégulation entre pairs.

✅​ Communiquer et agir face à la société

    • S’appuyer sur une communication transparente et vulgarisée pour expliquer les pratiques et montrer les progrès réalisés.
    • Développer des systèmes de certification, d’audit ou d’accréditation indépendants, impliquant aussi le grand public dans le contrôle et la promotion du bien-être.

✅​ Inclure la diversité des profils et adapter les messages

    • Prendre en compte l’hétérogénéité des attentes, motivations et connaissances dans la conception des actions de sensibilisation ou de formation.
    • Instaurer des démarches participatives, en intégrant les retours de terrain et en favorisant l’émergence d’une culture commune du bien-être équin.

En conclusion : une transition indispensable et prometteuse

La prise en compte du bien-être équin n’est plus une option, mais une nécessité pour assurer la pérennité de la filière. En combinant recherche scientifique, innovation pédagogique et dialogue avec la société, le secteur équestre peut évoluer vers des pratiques plus éthiques et durables.

Ce chemin, bien que parsemé de défis, ouvrira la voie à une relation plus harmonieuse entre l’homme et le cheval.

📖  Définitions :

  • Sentience : capacité d’un être vivant à ressentir subjectivement émotions et sensations, positives ou négatives.
  • Modèle des 5 domaines : cadre d’évaluation du bien-être animal qui inclut la nutrition, l’environnement, la santé, le comportement et l’état mental. Il montre que les quatre premiers domaines influencent le cinquième (l’expérience émotionnelle), afin d’évaluer à la fois la réduction de la souffrance et la promotion d’expériences positives.
  • Licence sociale d’opérer : acceptation et confiance accordées par la société à une activité, une organisation ou une pratique, au-delà du seul cadre légal.
  • Sousveillance : forme de surveillance inversée : ce n’est plus une autorité ou une institution qui observe les individus, mais « le plus grand nombre » (citoyens, militants, usagers) qui scrutent attentivement les pratiques et comportements d’un petit groupe de pouvoir, souvent à l’aide des technologies numériques (smartphones, réseaux sociaux). Dans le cas de la filière équestre, elle se traduit par l’attention constante portée aux images, vidéos et communications des organisations, utilisées pour dénoncer les pratiques jugées néfastes au bien-être des chevaux

Références

  1. Visser, E. K., & Van Wijk-Jansen, E. E. (2012). Diversity in horse enthusiasts with respect to horse welfare: An explorative study. Journal of Veterinary Behavior7(5), 295-304.
  2. Fiedler, J. M., Ayre, M. L., Rosanowski, S., & Slater, J. D. (2025). Horses are worthy of care: Horse sector participants’ attitudes towards animal sentience, welfare, and well-being. Animal Welfare34, e6.
  3. Maurício, L. S., Leme, D. P., & Hötzel, M. J. (2024). The easiest becomes the rule: Beliefs, knowledge and attitudes of equine practitioners and enthusiasts regarding horse welfare. Animals14(9), 1282.
  4. Torell Palmquist, G., Känsälä Alveheim, N., Huot-Marchand, F., Ashton, L., & Lewis, V. (2025). The Role of European Equestrian Institutions in Training Professionals: Outcomes from a Workshop on Horse Welfare in Equestrian Education. Animals15(2), 183.
  5. Lambert, H., Gordon, J., Jackson, L., Rogers, S., Chubb, R., White, J., & Lewis, S. (2024). Towards enhancing animal welfare standards in UK media: Part 1; insights from public opinion and attitudes. Human-Animal Interactions12(1).
  6. Lambert, H., Gordon, J., Jackson, L., Rogers, S., Clubb, R., White, J., & Lewis, S. (2025). Towards enhancing animal welfare standards in UK media: Part 2; insights from the industry. Human-Animal Interactions13(1), 0007.
  7. Rault, J. L., Bateson, M., Boissy, A., Forkman, B., Grinde, B., Gygax, L., … & Jensen, M. B. (2025). A consensus on the definition of positive animal welfare. Biology Letters21(1), 20240382.
  8. Kohlmann, E., Vigouroux-Zugasti, E., Trémé, A., & Coulbaut-Lazzarini, A. (2025). Sousveillance du bien-être animal: évolutions communicationnelles de la filière équestre. Communication et organisation. Revue scientifique francophone en Communication organisationnelle, (67), 133-150.